« La véritable passion amoureuse n’est pas seulement affaire du coeur et des sens.  Elle relève éminemment de l’esprit, tant il est vrai que la passion la plus haute, la plus sublimée, s’épanouit souvent, certes, dans un contexte de contraintes sociales, mais combien aussi dans un terreau de recherches et d’interrogations spirituelles ».

C’est sous les tons chatoyants de l’automne que j’ai découvert ce livre.  Dès les premières lignes, mon coeur a palpité. Lorsque je ralentis ma lecture, c’est le signe indéfectible que je vis un grand moment littéraire.  La plume de François Cheng m’a transportée dans la Chine du XVIIième siècle, sous la dynastie Ming. C’est le récit d’une passion: un amour impossible, né d’un échange de regards, cultivé par un dialogue intérieur et emprisonné dans l’impossibilité d’une communion charnelle

Un homme, éprouvé par une vie d’errance, décide de retrouver l’unique femme qu’il ait aimée trente ans auparavant.  Un simple échange de regards avait suffi à faire chavirer son coeur et sa vie.  Confronté à l’inaccessibilité corporelle, cet homme va subir les tourments de l’amour tout en l’élevant à sa dimension mystique.

Ce qui les lie n’est pas uniquement de l’ordre du sentiment mais s’ancre dans le Souffle primordial, duquel découle toute chose.  Convaincu de l’éternité de l’âme, le héros s’engage dans un cheminement de dépassement personnel.  Que leur union se réalise dans cette vie ou dans une autre, peu lui importe tant il est convaincu de la communion de leur destinée.  « Les êtres qui s’aiment vraiment ne sont limités ni par l’espace ni par le temps.  Ils sont liés par l’âme, un lien bien plus intime, plus inséparable que celui du corps ».

Petit bijou littéraire qu’on aimerait garder pour soi, « L’éternité n’est pas de trop » est un chef d’oeuvre, ciselé avec soin par un esthète, amoureux de la langue française. Originaire de Chine et membre de l’Académie française, François Cheng élève, par ce roman, l’amour terrestre à sa dimension spirituelle.

Ce livre questionne l’essence de l’amour et de la passion :

  • L’amour se confond-il avec la passion ? (quelques sources pour alimenter la réflexion: “4 choses à savoir sur la passion amoureuse” et “De passionnément à la folie”. François Cheng postule ici que l’un engendre l’autre; pourtant telle n’est pas la position adoptée dans les articles auxquels je renvoie ci-dessus où la distinction entre amour et passion semble beaucoup plus claire)
  • L’inaccessibilité est-elle une condition sine qua non pour que se développe – et se perpétue – la passion amoureuse ?
  • L’âme soeur: fantasme littéraire ou réalité terrestre ?
    • existe-t-il des âmes prédestinées à se rencontrer? cette question suppose de croire en l’immortalité de l’âme et à la possibilité de retrouver en cette vie une âme rencontrée dans une vie antérieure.
    • la compatibilité amoureuse parfaite entre deux êtres relève-t-elle du fantasme ? (pour un éclairage psychologique du concept Trouver l’âme soeur: et si c’était vrai ? )
    • selon la mythologie chinoise, les hommes et les femmes seraient tous reliés avec un fil rouge par un dieu qui s’occupe de former les relations prédestinées (l’expression tiān shēng yí duì signifie « un couple choisi par les Cieux »; cette idée se retrouve également dans la tradition juive et dans différents mythes (pour l’origine historique du concept: âme soeur).
  • Que signifie pour vous la dimension spirituelle de l’amour ?
  • Comment ce roman, si éloigné tant au niveau spatial que temporel de nos vies contemporaines, peut-il distiller son message dans nos quotidiens ?
    • doit-on se rendre inaccessible pour perpétuer l’amour ?
    • dans le même ordre d’idées, doit-on s’inspirer d’Alexandre Jardin qui, dans son dernier roman (« Double coeur ») prône la frustration, convaincu qu’ « aimer bien, c’est s’empêcher d’aimer trop facilement » ?
  • Que faire lorsqu’on est confronté à « l’inaccessibilité corporelle » et  livré aux « tourments de l’amour » ?
    • Quel est alors le sens de cette obsession ? sa fonction ? son utilité dans nos vies ?
    • Vers quoi nous permet-elle d’aller ?
    • Ou, à quoi nous permet-elle d’échapper ?

A cette dernière question, le héros répond en transcendant le choix binaire – céder ou résister à la passion – par  un surcroit d’empathie envers ses semblables.  Afin de se soustraire au tourment, il apprend à s’intéresser aux gens  pour eux-mêmes avec humilité et compassion et découvre l’apaisement que cela lui procure. 

« Peut-être, dois-je agir au nom de ce qui m’a été donné. Chacun cherche sa forme d’accomplissement, selon sa ligne de destin! ».

La passion serait-elle la voie royale vers l’accomplissement de notre Etre ? une belle question à méditer …

Sur ce, je vous souhaite de goûter à l’amour vrai, tel que l’entend François Cheng, l’amour que ni le temps, ni l’espace ne limitent et qui lie les êtres par l’âme, ce lien qui serait bien plus intime encore que celui du corps …

Belle Saint-Valentin à tous,

Caroline