“Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité.  Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire. ”

— C. G. Jung

Lorsque quelqu’un vient en coaching, classiquement pour une demande d’ordre professionnel, se profile souvent un obstacle sur le chemin de son objectif.  Il peut s’agir d’un vécu de honte lié à une période de vie, de peurs entravant sa capacité à avancer ou encore d’une difficulté à accepter sa vulnérabilité.  Lorsque cet obstacle est mis à jour, la demande de la personne que j’accompagne vise prioritairement à l’éradiquer le plus rapidement possible.  La peur aimerait s’effacer au profit du courage, la honte de l’acceptation, la faiblesse de la force.

Pourtant, je constate que plus ces personnes se démènent pour ne  plus avoir peur, ne plus être faible, ne plus avoir honte, plus elles s’engluent dans ce dont elles cherchent à se départir.

C’est parce que, a priori, elles considèrent le coté sombre de leur personnalité comme un ennemi à combattre et non comme un ami à apprivoiser.  « On ne peut changer à l’intérieur de soi que ce que l’on a d’abord effectivement accepté ».

« Apprivoiser son ombre » est l’un des best-seller de Jean Monbourquette, prêtre et psychologue quebécois.  Selon lui, c’est en explorant son ombre que nous favorisons notre croissance personnelle.  Monbourquette définit l’ombre comme « tout ce que nous avons refoulé dans l’inconscient par crainte d’être rejetés par les personnes qui ont joué un rôle déterminant dans notre éducation ».  Désireux de gagner l’appréciation de notre entourage, nous avons refoulé un ensemble de sentiments, qualités, talents, attitudes qui pouvaient paraitre déviants, honteux ou répréhensibles et ce, jusqu’à alimenter un « volcan psychique », une énergie compressée, mais toujours vivante et active, dénommée « l’ombre ».

L’objectif est de réintégrer les éléments refoulés, de se les réapproprier afin d’atteindre un état de complétude de sa personne, ce qui mène à un surcroit de vitalité et de créativité et permet d’exploiter les richesses et le potentiel de l’ombre.

Par définition, l’ombre est difficile à cerner puisqu’elle nait et s’alimente de refoulements.

Monbourquette propose dès lors cinq stratégies pour l’identifier:

1) Se poser les neuf questions suivantes:

  • « Quels sont les aspects les plus flatteurs de votre ego social, ceux que vous aimeriez voir reconnus par les autres ? Demandez-vous ensuite quels sont les qualités ou traits contraires que vous avez dû refouler ».  Ainsi, par exemple, celui qui souhaite passer pour quelqu’un de fort risque d’avoir refoulé son coté vulnérable.
  • « Quels sujets de discussion, avez-vous tendance à éviter dans vos conversations ? ».  Ils sont peut-être en lien avec un coté honteux de vous-même.
  • « Dans quelles situations vous sentez-vous devenir nerveux, hypersensible et sur la défensive ? Quel type de remarques vous fait réagir ? ».  Il se peut que cela vienne toucher une partie de vous que vous n’acceptez pas.
  • « Dans quelles situations avez-vous le sentiment d’être inférieur ou de manquer de confiance en vous-même ? ».
  • « Dans quelles situations éprouvez-vous de la honte ? »
  • « Quelles critiques vous touchent particulièrement ? »
  • « Avez-vous de la difficulté à accepter un compliment ? ». Le fait de minimiser ce qui a pu faire naitre le compliment ou de le refuser sont autant de signes indicateurs que vous pourriez être en train de camoufler votre secret désir d’être admiré.
  • « A propos de quoi vous sentez-vous bouleversé ou insatisfait de vous-même ? ». Il se peut qu’il s’agisse de quelque chose que vous cherchez à occulter parce que vous la considérez comme un défaut.
  • « Par quelle qualité votre famille se distinguait-elle dans votre milieu ? ».  La qualité opposée à celle reconnue par votre entourage constitue l’ombre familiale.  Ainsi, une famille dont les membres sont qualifiés de « travailleurs » aura probablement donné peu de place pour le loisir, le plaisir et le repos.

2) Analyser ses rêves

Le rêve, par la fonction compensatoire des comportements sociaux, serait le lieu de rencontre privilégié avec l’ombre.  Tout ce qui est réprimé la journée, s’exprime librement la nuit.  Que l’ombre s’exprime sous la forme d’un monstre ou d’un personnage à l’air sinistre et menaçant, elle indique qu’un aspect important de nous-même cherche à se manifester.  L’idée est d’aller à sa rencontre, de l’écouter, l’apprivoiser et s’en faire un allié.

3) Etre attentif à ses fantasmes et rêveries éveillées

Ces éléments de notre monde intérieur, tels que « les instincts de compétition, élans de pouvoir, désirs de richesse, poussée de sexualité, sentiments d’envie et de jalousie, montées des frustrations » sont, selon Monbourquette, des percées de l’ombre, affluant à la conscience.

Concrètement ? Il ne s’agit ni de refouler l’ombre ni de s’y identifier.  Monbourquette développe l’idée que le maintien d’une mentalité dualiste nuit à la croissance de l’individu.  Il s’agit donc d’établir un équilibre entre l’ombre et la lumière, entre les éléments antinomiques du psychisme.  L’harmonisation de ces pôles suppose de reconnaitre que ces mouvements font partie intégrante de notre dynamique de fonctionnement.  Apprivoiser l’ombre revient donc à accueillir et accepter nos imperfections, défauts, déficiences et erreurs.

4) Examiner le contexte dans lequel s’exprime l’humour

Le rire se déclenche face à un propos ou une situation déplacée, osée, incongrue.  Rire de quelqu’un qui tombe dévoile qu’on ne peut s’empêcher de se réjouir de l’humiliation subie par un autre, ce qui dévoile une part de sadisme.

5) Examiner ses projections sur autrui

Selon Monbourquettte, les projections que nous faisons sur autrui sont le reflet de notre ombre.

Selon lui, si nous méprisons ou idéalisons quelqu’un pour un trait de caractère ou une qualité, c’est que nous devons précisément développer en nous ce trait de caractère ou cette qualité.  Autrement dit, il s’agit de récupérer les projections faites sur autrui et de les réintégrer à sa propre personnalité.

Ainsi, si nous avons tendance à critiquer notre collègue pour son côté fainéant alors que nous sommes travailleur, c’est que nous devons probablement faire plus de place dans nos vies pour la détente et le temps pour nous.  Dans la même logique, si nous critiquons une personne douce et tranquille alors que nous sommes énergique et agité, c’est sans doute que nous gagnerions à intégrer un peu de douceur et de tranquillité dans notre vie agitée.  Le côté doux et tranquille serait donc un aspect ayant été refoulé dans notre inconscient pour l’une ou l’autre raison.

Ces projections se retrouvent souvent dans les couples.  Nous sommes attirés chez l’autre par ce qui manque chez nous. En nous attachant à cet autre si différent, nous pouvons avoir le sentiment de récupérer à notre propre compte les qualités que nous avions occultées.

Une fois identifiée, l’ombre devra être réintégrée.  Monbourquette propose 8 stratégies en vue d’opérer une harmonisation entre l’ombre et son contraire. L’idée est d’identifier deux aspects contraires de sa personnalité: l’un ayant été refoulé, l’autre étant parfaitement conscient (exemples: douceur vs agressivité; passivité vs énergie; honte vs fierté; peurs vs courage; etc.) et de favoriser leur conciliation.

1) Dialoguer avec son ombre

Après avoir identifié la personne sur laquelle nous faisons une projection de mépris ou de fascination, nous allons dialoguer avec elle (en l’imaginant assise sur une chaise en face de nous).  Nous allons successivement changer de rôles, endossant alternativement notre propre rôle et celui de la personne qui est l’objet de notre projection.  L’exercice se termine en prenant une position méta, décrivant ce qui vient de se passer et actant l’éventuelle réconciliation entre ces deux personnes ou, autrement dit, entre les deux traits contraires de notre personnalité.

2) Personnaliser son ombre et s’en faire une amie

La proposition est, après avoir identifié un aspect de notre ombre, de lui parler intérieurement, de lui demander comment lui faire plus de place dans sa vie, de s’enquérir de ses besoins.  Quelqu’un, se plaignant de sa passivité, peut, après avoir identifié « l’énergique-en-lui », dialoguer avec cette partie de lui en lui demandant, par exemple, comment lui faire plus de place, ce dont il aurait besoin pour s’exprimer d’avantage, etc.

3) Retrouver en soi l’enfant blessé

Une blessure reçue durant l’enfance peut conduire à refouler une émotion, un trait de caractère, un talent ou une manière de penser.  L’idée est d’identifier en soi la partie blessée de son enfant intérieur et de lui apporter amour, compassion et bienveillance.

4) S’identifier à ses projections

L’idée est de se reconnaitre responsable des pulsions de son ombre.  Par exemple, je transformerai la pensée: « Ma soeur est insupportable » en « Je ressens de l’hostilité envers ma soeur et je fais tout pour la mettre en colère »; « Personne n’a de scrupules dans cette boite » en « Moi, aussi, je manque de scrupules »; « Le comportement de cette femme infidèle est scandaleux » en « Moi, aussi, je serais tentée de tromper mon mari mais je me l’interdis »; etc.

5) Aider la personne à prendre conscience de l’existence en elle de deux qualités opposées

6) Harmoniser les éléments d’allure contraire de l’ego-idéal (persona) et de l’ombre

Après avoir identifié chez une personne la qualité ou le trait négatif qui nous la rend antipathique, s’interroger sur les aspects positifs que peuvent renfermer cette qualité ou ce trait négatif.
Si vous jugez quelqu’un :

  • d’ « imprudent », sans doute est-il aussi courageux ?
  • de « trop sensible », sans doute est-il capable d’exprimer ses émotions ?
  • d’ « hypocrite », peut-être est-il discret ou diplomate ?
  • d’ « égoïste », sans doute est-il capable de prendre soin de lui et de ses besoins.

Ensuite, il s’agit de se demander si nous n’aurions pas nous-même besoin de cette qualité ou de ce trait pour contrebalancer un côté excessif de notre tempérament.  Enfin, Monbourquette propose un travail d’harmonisation à l’aide de nos deux mains, chaque main, symbolisant un trait de caractère et leur jonction, la conciliation de ces deux traits de caractère.

7) Harmoniser à partir de la recherche de symboles

La proposition est d’imaginer que nous sommes dans un autre monde et que nous pouvons choisir une autre identité (une chose, une plante, un animal, un personnage fictif); de la décrire (taille, couleur, odeur, mouvement, expression, contexte, etc).
Ensuite, il s’agit de choisir une identité que l’on détesterait devenir (chose, plante, animal, personnage fictif) et de la décrire.
Enfin, Monbourquette propose d’harmoniser ces deux entités en les imaginant dans chacune des mains et, en invitant au rapprochement des mains tout en suggérant l’apparition d’un troisième symbole, né à partir des deux précédents.

8) Dessiner des mandalas

Selon Monbourquette, le mandala exprime à la fois l’unité et la diversité.  De par sa fonction unificatrice, le mandala se prête au dessin et à la méditation.

A travers cet ouvrage, c’est à un idéal de vie auquel Monbourquette invite.  En proposant un chemin de croissance personnelle, un « itinéraire psychospirituel », marqué par l’acceptation intégrale de soi, de nos grandeurs et petitesses, il reprend à son compte le propos de Carl Jung: « il vaut mieux être complet que parfait ».

Questions:

  • Que refoulez-vous ?
  • Quelles projections faites-vous à l’égard d’autrui ? Selon Monbourquette, les projections consistant soit à mépriser soit à idéaliser autrui ne sont que le reflet des aspects de notre personnalité que nous méprisons ou dont nous sommes pourvus sans en avoir conscience.
  • Quels rapports entretenez-vous avec la honte ? la peur ? l’agressivité ? la vulnérabilité ? le doute ?
    • les percevez-vous comme des ennemis à combattre ?
    • en faites-vous des alliés ?
  • Quelle est l’intention positive de cette « ombre » (peurs, honte, agressivité, vulnérabilité, doute, etc.) ? Si elle existe, c’est qu’elle remplit une fonction utile pour vous.  Quelle est-elle ? 
  • Par qui sommes-nous fascinés ? ou, envers qui, éprouvons-nous de la répulsion ? quel(s) lien(s) pouvons-nous faire entre cette fascination ou ce mépris et ce que nous aurions pu refouler ?